Le défi majeur : l'emploi des jeunes

Share:

Listens: 0

Les chroniques économiques de Bernard Girard

Miscellaneous


Pour écouter cette chronique diffusée le 8/05/2012 sur AligreFM, cliquer iciRépondre au défi majeur : l’emploiFrançois Hollande a donc été élu. Comme il l’a dit et répété, son élection a lancé un signal à l’Europe. L’austérité ne suffit pas, il faudra l’accompagner de croissance. Et l’on peut penser que le message a été entendu. Depuis quelques jours le mots « croissance » a fait sa réapparition dans le vocabulaire des dirigeants européens. Et comme le reste du monde, Américains en tête, n’attend que cela, on peut parier qu’il obtiendra assez facilement l’introduction d’un complément sur la croissance au pacte européen. Obtiendra-t-il autant qu’il devrait ? cela dépendra de sa capacité à réunir autour de lui les dirigeants européens qui souhaitent aller dans ce sens. La présence du premier ministre belge aux cotés de Martine Aubry à Lille est, de ce point de vue, de bon augure même s’il aura fort à faire avec le nouveau tandem germano-italien qui s’est dessiné ces dernières semaines lorsqu’il est apparu que Nicolas Sarkozy était menacé.Mais tout cela est l’actualité immédiate. François Hollande ne réussira son quinquennat que s’il répond aux multiples défis économiques de la société française : la dette, la dégradation des services publics et, bien sûr, le chômage et, d’abord, celui des jeunes que François Hollande a mis, à juste titre, en tête de ses préoccupations. Il a certainement fait un bon diagnostic : l’emploi des jeunes est l’une des questions centrales de nos sociétés. Et pas seulement en France, on retrouve le même phénomène un peu partout dans le monde développé et pour, semble-t-il, les mêmes raisons. Il a demandé à être jugé sur ses résultats dans ce domaine et il a bien fait. Mais s’est-il donné les moyens de le traiter ? Les solutions qu’il propose, ces contrats de génération, s’ils peuvent aider, ne sont certainement pas à la hauteur du problème, comme l’avait signalé, lors des primaires, Martine Aubry. Ils permettront sans doute à quelques dizaines de milliers de jeunes de trouver un emploi, mais il n’en créera pas vraiment d’emplois puisqu’il s’agit, in fine, de remplacer des seniors par de plus jeunes.La croissance par les réformes structurellesSi les jeunes n’ont pas d’emploi c’est parce que la croissance n’est pas au rendez-vous mais aussi parce que le monde du travail ne fait plus aujourd’hui de place aux jeunes sans diplômes ni qualifications.Commençons par la croissance. Si l’idée qu’il nous faut plus de croissance est acceptée d’à peu près tout le monde, on est loin de l’unanimité sur les solutions. Je dirais, pour simplifier, que deux thèses sont en présence. La première, soutenue par l’Allemagne, la BCE et, de manière plus générale, les conservateurs, insiste sur la nécessité des réformes structurelles, la seconde, portée par la gauche mais aussi par de nombreux économistes dans les pays en difficulté et en dehors de la zone euro parie sur le retour d’un peu d’inflation en Allemagne. L’argument des partisans des réformes structurelles est très simple : si l’on veut que les entreprises restent compétitives sur les marchés internationaux, il faut que le coût du travail diminue et qu’elles soient plus flexibles. On ne sortira de la crise, disent en substance ses avocats, qu’en cassant les rigidités de notre système, rigidités confondues avec, d’une part, la protection sociale et les cotisations sociales qu’on appelle charges sociales pour les dévaloriser et mieux souligner combien elles coûtent cher, et, d’autre part, le contrat de travail à durée indéterminée, le CDI.Pour réduire le coût du travail, deux hypothèses ont été évoquées explicitement à droite pendant la campagne électorale : la TVA sociale qui permettrait de transférer une partie des cotisations sociales vers les consommateurs, et une plus grande autonomie du dialogue qui permettrait aux entreprises de déroger, une fois obtenu l’accord des syndicats, au code du travail. On pourrait ajouter à cela un troisième dispositif déjà enclenché : le transfert aux consommateurs d’une partie des dépenses aujourd’hui prises en charge par la collectivité. C’est en cours dans le domaine de la santé, avec toutes ces mesures qui consistent à demander aux patients de contribuer au financement de ses soins. Ce l’est dans le domaine de l’éducation avec l’explosion des droits d’inscription dans l’enseignement supérieur. Et on peut imaginer que Nicolas Sarkozy élu, nous serions allé plus loin dans cette direction.Mais il n’y a pas que le coût du travail, il y aurait aussi ses rigidités assimilées au CDI et aux règles qui imposent des contraintes aux employeurs qui veulent licencier des salariés. Contrat et règles qu’il faudrait donc supprimer, ce que la droite envisageait de faire avec ses accords compétitivité-emploi qui auraient permis aux entreprises de déroger aux règles du code du travail et de baisser les salaires.  La croissance par le retour de l’inflation en AllemagneLa seconde approche que défend l’économiste américain Paul Krugman mais que l’on retrouve et retrouvera demain plus encore à gauche revient à dire que l’on peut avoir plus de croissance en Europe si l’Allemagne accepte plus d’inflation. Ce qui ne serait qu’un juste retour des choses. Si l’Allemagne a si bien réussi, ce n’est pas seulement, expliquePaul Krugman, grâce à ses performances en matière d’exportation, comme on le dit souvent, mais aussi grâce à une inflation un peu plus élevée chez ses voisins européen. Ce serait donc aujourd’hui à elle d’accepter un peu d’inflation pour relancer l’activité de ses voisins. Cela peut passer par des augmentations de salaires et l’on sait que les syndicats le réclament vivement, mais aussi une politique monétaire moins restrictive qui abandonne son objectif d’une inflation inférieure à 2%. Ce qui suppose une réorientation des missions et des objectifs de la banque centrale et une évolution profonde de la politique allemande. Cette seconde thèse est, bien sûr, bien plus raisonnable et satisfaisante, mais elle se heurte à l’opposition de l’Allemagne et de la Banque centrale. Et le risque est que, sous couvert de compléter le traité les Allemands et leurs alliés n’imposent à la France ces réformes structurelles dont nous parlions à l’instant au motif qu’elles ont été réalisées en Allemagne, engagées en Grèce, en Italie et en Espagne. C’est un scénarioqu’envisagent les marchés financiers comme en témoigne cette note de l’économiste en chef d’un des principaux brokers européens : « Quel qu'il soit, le prochain président aura donc à rationaliser les finances publiques et favoriser la croissance, grâce à d'ambitieuses réformes de la fiscalité et du marché du travail. Dans la mesure où la politique de croissance proposée par Hollande échouera à coup sûr, elle est probablement conçue comme une astuce pour éluder la question du marché du travail au cours de la campagne et servir d'édulcorant au-delà. »Le pire n’est évidemment pas sûr. François Hollande peut espérer le soutien, au moins implicite, des autres dirigeants européens et des syndicats allemands et avec eux d’une partie de l’opinion allemande qui ne portent pas le même regard que nous sur le miracle allemand. Car si miracle il y a eu, il n’est certainement pas partagé par tous, comme le suggérait un long et très détaillé article paru la semaine dernière dans le Spiegel, le grand magazine allemand dont le titre est tout un programme : le coût élevé du succès économique de l’Allemagne. Je n’en citerai que ce passage explicite : « Une minorité seulement profite du boom tandis que des salaires qui stagnent et la précarité de l’emploi rendent difficile pour la majorité de joindre les deux bouts. »  Une relance par l’inflation ne suffira pasOn ne sait si François Hollande réussira à convaincre les Allemands et la BCE, mais le réussirait-il même que cela ne suffirait pas. Encore faudrait-il que l’économie française profite de cette relance par l’inflation. Ce n’est pas évident.Les grands travaux auxquels il pense profiteront certainement aux grandes entreprises, mais ce ne sont pas elles qui créent de l’emploi. Si l’on veut que cette relance soit efficace, il faut que cette relance profite aux PME, aux entreprises de taille intermédiaire qui produisent en France et qui y créent des emplois. Or, cela suppose qu’elles aient les moyens de cette croissance, qu’elles aient les financements pour accroitre leur productivité et les compétences pour répondre à ces nouveaux marchés.  En ce sens, la banque d’investissements que propose Françis Hollande devrait être une bonne chose, surtout si elle est décentralisée et proche des acteurs. Encore faudra-t-il qu’elle se mette en route rapidement. Mais elle ne réglera pas l’autre grand problème de ces entreprises : celui des compétences. La croissance d’une entreprise est aussi affaire de compétences de son management. Une entreprise de 20 personnes et une entreprise de 500 ne demandent pas les mêmes. Une des grandes forces de l’industrie américaine est d’offrir aux entreprises moyennes la possibilité de recruter des collaborateurs formés dans les grandes entreprises où ils ont appris les techniques de management nécessaires qu’il s’agisse du marketing, de la production, des ressources humaines ou du commerce international. Nous n’avons pas cela en France.Or, cette question des compétences n’est abordée par personne. Peut-être parce que nos politiques ne connaissent que mal les entreprises moyennes et ne rencontrent que les dirigeants des très grands groupes qui n’ont pas ces soucis, mais le premier frein à la croissance des PME est là : plus une entreprise grandit, plus elle a besoin de maîtriser des savoir-faire dans les domaines les plus variés qui ne s’acquièrent, pour l’essentiel, que sur le terrain, au contact des réalités, je veux dire des régles, des procédures de toutes sortes qui encadrent le monde du travail.Pour tous ces motifs, une relance par la croissance ne suffira pas, ne permettra pas de résoudre le problème du chômage des jeunes.  Jeunes sans emploi : la faute à croissance et au manque de qualificationSi les jeunes n’ont pas d’emplois, c’est faute de croissance, faute d’entreprises qui leur donnent du travail, mais ce n’est pas seulement cela. C’est aussi que beaucoup, beaucoup trop n’ont pas de qualifications suffisantes. Je disais tout à l’heure que toutes les économies industrielles étaient confrontées à ce problème. L’une de leurs difficultés majeures vient de ce qu’elles ont du mal à créer des emplois pour les moins qualifiés, pour ceux qui sortent du système scolaire sans diplômes. En France, ailleurs aussi sans doute, ces jeunes sans qualifications se retrouvent, dés qu’ils cherchent un emploi en concurrence avec ceux qui en ont un.Pourquoi un employeur choisirait-il un candidat sans le baccalauréat quand il peut, pour le même prix, en avoir un avec ce diplôme ? On dira que le baccalauréat ne vaut pas grand chose, qu’il n’est pas forcément utile pour tenir les postes les moins qualifiés. C’est oublier que beaucoup de postes, notamment dans les services, demandent des compétences acquises à l’école, maîtrise de la langue écrite et parlée, d’un peu d’anglais… Bien rares sont aujourd’hui les métiers qui ne demandent aucune qualification. C’est surtout oublier qu’un diplôme ne donne pas seulement des informations sur les compétences acquises, il en donne aussi sur le comportement : on sait que celui qui a réussi son bac, pour rester sur cet exemple, a fait des efforts pour l’obtenir, a préféré à un moment de sa vie le futur (la réussite à l’examen et ce que cela peut apporter) aux satisfactions immédiates. L’absence de diplômes peut être assez facilement compensée par une expérience professionnelle. Encore faut-il acquérir celle-ci, ce qui ne va pas de soi quand tous les emplois auxquels pourraient prétendre ceux qui n’ont pas de diplômes sont pris par ceux qui en ont un. Et pris d’autant plus facilement que tout le système des stages d’étudiants dont sont si friands les entreprises et les professionnels de l’enseignement supérieur met en concurrence des candidats sans diplômes à la recherche d’un emploi durable et des diplômés à la recherche d’un emploi précaire. Difficile de faire concurrence plus inégale. L’une des meilleures manières de lutter contre le chômage sans qualification serait de lutter contre cette concurrence inégale. D’après l’INSEE, 19% des jeunes qui suivent des études supérieures, soit à peu près 400 000 personnes, cumulent emplois et études, la moitié seulement occupent un emploi, stage ou contrat en alternance qui a un rapport avec leurs études. Autant dire qu’il y a là un gisement important qui mériterait d’être exploité et qui permettrait, s’il l’était de réduire de manière significative le nombre de jeunes de moins de 25 ans aujourd’hui sans emplois. Il y en avait, en 2010, 640 000.Pour cela il faudrait donner aux étudiants qui ont besoin le moyen de financer leurs études autrement, avec, par exemple, des bourses. Ce qui limiterait l’échec dans l’enseignement supérieur, car quoi de pire que ces situations bâtardes où l’on travaille mal parce que l’on fait ses études et l’on étudie mal parce que l’on travaille.Une cible : l'échec scolaireUne autre difficulté tient au développement de la précarité qui ne favorise pas l’acquisition de compétences professionnelles sur le tas. Les jeunes qui vont de CDD en CDD ne développent pas de compétences utiles ou, plutôt, ils se retrouvent à la tête d’une multitude de savoir-faire que tout un chacun peut acquérir à tout moment. En ce sens, ils sont pleinement interchangeables et donc plus que d’autres victimes de la flexibilité : l’employeur qui s’en sépare sait qu’il pourra demain retrouver sur le marché du travail l’équivalent. A aucun moment il ne se dit : je vais le garder parce que j’aurais du mal à trouver quelqu’un qui fasse aussi bien. Cette absence de qualifications renvoie naturellement à l’échec scolaire puisque ce sont ceux qui sortent du système scolaire le plus tôt, sans qualification qui ont les taux de chômage  les plus élevés, de l’ordre de 30% à 50%.  L’échec scolaire est un phénomène complexe, mais on dispose d’indications qui donnent des pistes. On sait, par exemple, que la réussite au baccalauréat est sensiblement plus faible chez les enfants dont le père a connu une période de chômage de longue durée. L'écart de taux de réussite est de 20 points. Une partie de cet écart est, explique l’INSEE, due au fait que le chômage concerne surtout des pères peu diplômés, moins à même d'aider leurs enfants dans leur scolarité. Mais le chômage des parents a aussi un effet qui lui est propre : il diminue de 12 points la probabilité d'obtention du baccalauréat. Autrement dit : le chômage des parents favorise celui des enfants.Pour conclureFrançois Hollande a tout au long de cette campagne électorale mis en avant la jeunesse et il a souligné la gravité du chômage des jeunes. Il a bien fait, le diagnostic est bon, mais maintenant qu’il est à pied d’œuvre il va lui falloir trouver des solutions qui aillent au delà des contrats de génération qu’il a imaginés et de la croissance qu’il espère relancer en négociant avec l’Allemagne. Les causes de ce chômage massif des jeunes sont souvent plus profondes, je veux dire plus inscrites dans les plis de nos institutions. Des pistes existent cependant. Nous en avons vu trois :- éviter que les étudiants salariés ne prennent l’emploi des sans diplômes,- obtenir des entreprises qu’elles offrent à eurs jeunes salariés des contrats durables qui leur permettent de cumuler des compétences qui constituent un capital sur le marché du travail,- lutter, enfin, contre l’échec scolaire là où il est le plus destructeur : dans les milieux populaires.Tout cela demande malheureusement des investissements importants.