Livre international - Russie: les quatre guerres de Vladimir Poutine, selon l'historien Sergueï Medvedev

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Comprendre les ressorts et les moteurs du pouvoir de Vladimir Poutine : c’est ce que propose le dernier ouvrage de Serguei Medvedev, « Les quatre guerres de Poutine, ce que la Russie nous prépare », paru en français aux éditions Buchet Chastel. Historien spécialiste de la période post-soviétique, Sergueï Medvedev livre son analyse. RFI : Sergueï Medvedev, vous faites ce constat : la Russie du XXIe siècle mène plusieurs combats, quatre précisément. Selon vous, Vladimir Poutine a lancé une guerre territoriale, une guerre pour les symboles, mais aussi pour le corps et pour la mémoire. Revenons tout d’abord sur la guerre territoriale. Par quoi cela se traduit-il ? Sergueï Medvedev : Le pouvoir russe continue de voir la Russie comme un empire et n’arrive pas à prendre conscience que le temps des empires est révolu. Le XXIe siècle est en quelque sorte, pour la Russie, une époque de ressentiment post-impérial. De là découle la guerre avec l’Ukraine, l’annexion de la Crimée, l’occupation du Donbass, les projets de développement de l’Arctique, les guerres russes dans des lieux reculés comme la Syrie ou la Libye ou les tentatives de contrôle de l’espace post-soviétique, qui, il faut le dire, s’avèrent de plus en plus délicates. C’est le cas chez le voisin biélorusse traversé par un mouvement de contestation sans précédent. Comment analyser la position de Moscou ?   La Russie attend et observe. Elle ne se mêle pas directement, mais elle pèse de tout son poids. Elle ne veut pas qu’une révolution de type Maïdan ukrainien éclate en Biélorussie, mais en même temps, elle veut affaiblir le plus possible Alexandre Loukachenko, pour pouvoir, à l’issue de ce mouvement de contestation, le destituer discrètement. Son but est de retrouver une Biélorussie obéissante, qui fera quasiment partie de cet empire russe. La deuxième guerre dont vous parlez est celle des symboles… La Russie a toujours été une sorte de village Potemkine. Les symboles de la puissance de l’empire soviétique sont importants pour Vladimir Poutine. Le symbole le plus grand pour lui, c’est la victoire de la Seconde Guerre mondiale et le contrôle de l’URSS sur la moitié de l’Europe qui en a découlé. On peut dire que le symbolisme du 9 mai, de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale, définit sa vision du monde. Parallèlement, il mène une politique de contrôle des sphères culturelles et sociales : il veut contrôler la presse, les universités, la liberté de penser, la liberté de parole. Le pouvoir russe va même au-delà, puisqu’il veut aussi contrôler les corps, écrivez-vous. Vladimir Poutine veut que la souveraineté s’applique aussi aux corps des citoyens. Il faut comprendre que le pouvoir russe est très patriarcal, qu’il se fonde sur des mécanismes très anciens, archaïques, tels que le pouvoir exercé par l’homme sur la femme, la domination du modèle familial traditionnel. C’est pourquoi ce pouvoir très conservateur se bat contre les LGBT, se bat pour la démographie avec des mesures pour augmenter la natalité, pour lutter contre les avortements, etc. Ce sont des combats qui sont aussi menés ailleurs, mais en Russie, le Kremlin est à la tête de ce combat. Enfin, vous évoquez la guerre autour de la mémoire. Peut-on aujourd’hui parler facilement des traumatismes du passé en Russie ? On peut, mais ça n’est pas très recommandé. Le pouvoir s’efforce de créer un mythe historique selon lequel la Russie a toujours été dans le camp des vainqueurs et selon lequel l’État a toujours été plus important que l’individu. On estime qu’il ne faut pas parler des pertes, des victimes, des drames du colonialisme russe. Cela concerne surtout l’histoire du XXe siècle, les côtés sombres de la révolution et le stalinisme. Aujourd’hui, il devient très délicat de parler des crimes du stalinisme en Russie. On crée des lois pour cela. Il est difficile de parler des crimes de la police politique du NKVD et de ceux commis par l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Bientôt, comparer l’URSS à l’Allemagne hitlérienne sera passible de peines de prison. Le pouvoir sent bien qu’il y a là une partie de l’histoire qui n’est pas très agréable et c’est pour ça qu’elle emploie tous les moyens pour censurer toute discussion historique sur ce thème.