La petite Lituanie montre ses muscles face à la Chine

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Fréquence Asie

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Un petit pays balte ose montrer ses muscles face à la superpuissance chinoise. En quelques mois, la Lituanie a reconnu que la minorité des Ouïghours était victime d’un génocide, elle a recommandé aux propriétaires de smartphones Huawei de le jeter au plus vite, et puis le mois dernier, la Lituanie a osé ouvrir un « bureau de représentation de Taïwan » et non de Taipei, comme c’est l’usage pour ne pas irriter la Chine qui revendique l’île comme son propre territoire. Pékin ne décolère pas, au point que les 19 diplomates lituaniens présents en Chine ont préféré, la semaine dernière, rentrer chez eux, ne se sentant plus en sécurité dans le pays. Décryptage de cette crise diplomatique avec la députée lituanienne Dovilé Sakaliene. RFI : Bonjour Dovilé Sakaliene, comment la Lituanie est-elle devenue l’ennemi numéro 1 de Pékin en Europe ? Dovilé Sakaliene : Nous n’avons pas voulu déclencher une quelconque crise. Nous n’avons pas voulu rompre nos relations. Nous disons juste, simplement et calmement, qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Si un État veut nous dicter sa loi et nous interdire de renforcer nos liens avec Taïwan, c’est inacceptable. Lorsque la Chine sanctionne des élus parlementaires pour avoir défendu les droits fondamentaux ou pour avoir osé dire que les Ouïghours sont victimes d’un génocide, c’est inadmissible. Nous essayons donc de défendre notre liberté de choix. Depuis que le drapeau taïwanais flotte sur Vilnius, des produits lituaniens sont bloqués par les douanes chinoises. Combien de temps pouvez-vous tenir face à la pression chinoise ? Je tiens à dire que nous n’avons pas violé le principe reconnu selon lequel il n’y a qu’une seule Chine. Il s’agit en effet d’une « représentation de Taïwan » puisqu’il représente bien plus que juste la capitale Taipei. C’est un fait que Taïwan est une île habitée par des Taïwanais. Cela dit, nous respectons bien sûr les accords signés et n’avons rien fait d’illégal. Nous disons juste « attention ». Quand on voit comment la Chine viole des accords internationaux et piétine les libertés à Hong Kong ou dans la région du Xinjiang, nous optons pour la prudence. Ayant nous-même souffert d’un régime communiste sous l’Union soviétique, nous savons comment une puissante propagande peut camoufler des crimes. Nous voyons comment la Chine traite ceux qui sont en désaccord. C’est donc normal que nous défendions chaque centimètre de notre démocratie. Vous faites vous-même partie des 10 personnalités européennes sanctionnées par la Chine. Pékin vous accuse de « propager des mensonges ». Comment gagner ce combat David contre Goliath ? Nous ne sommes que trois millions de Lituaniens. Plus de 10 millions de Ouïghours sont actuellement réprimés, persécutés, tués. Trois fois plus que notre population entière souffre chaque jour. Il me semble donc difficile de rester silencieux. Quant au combat entre David et Goliath, c’est exactement ce que la République populaire de Chine essaie de propager, que personne ne peut résister à sa superpuissance. Mais nous devons lui opposer des limites. Le monde démocratique est bien plus grand que la Chine, nous devons donc unir nos forces. Les tensions ne font que monter depuis mai dernier, lorsque la Lituanie a claqué la porte du Forum de coopération économique 17+1 qui rassemble la Chine et 17 pays de l’Europe centrale et orientale. Pourquoi avez-vous tourné le dos à Pékin ?  Le format 17+1 divise les pays et n’est pas bénéfique pour nous, contrairement au format Union européenne-Chine. Nous avons compris que la Chine fonctionne selon le mode : diviser et régner, diviser et contraindre, diviser et réprimer. La Lituanie, en bon partenaire, privilégie un format clair : c’est l’Union européenne qui doit parler à la Chine. Cet esprit de rébellion vient-il aussi du fait que la Lituanie est déçue par la Chine qui n’a pas tenu ses promesses d’investissements ? Le monde entier a vu la vie en rose, nous avons tous rêvé d’investissements chinois. Mais si vous regardez ce qui se passe dans les pays qui sont devenus dépendants des Chinois, en Afrique ou ailleurs, et comment la Chine leur impose ses règles, je me dis qu'on ne doit pas être déçu que leurs investissements aient été si modestes chez nous. Les nations qui aiment leurs libertés, comme nous, comme la France, l’Allemagne et bien d’autres, doivent comprendre qu’il y a un prix à payer si on veut « goûter au fromage dans un piège à souris ». Soit on vous coupe la tête, soit on vous met dans une cage. Ne jouons pas à ce jeu-là. Les pays démocratiques doivent être pragmatiques et faire le choix de se rapprocher et s'unir, parce que la coopération sera plus durable, plus prévisible, plus stable et basée sur l’État de droit. Je ne suis pas naïve, nous sommes un très petit pays. Mais toute grande chorale est faite de petites voix. Donc, essayons de faire entendre notre voix ! Comme les États-Unis et bien d’autres pays, la Lituanie a déjà annoncé un boycott diplomatique des Jeux olympiques à Pékin, espérez-vous que la France suive votre exemple ? Aller participer à ces jeux du génocide, car c’est comme ça qu’il faut les appeler, est inacceptable pour tout État démocratique. Nous voyons des violations des droits humains à l’échelle industrielle au Xinjiang. Les dirigeants politiques veulent-ils être paradés tels des trophées du régime chinois ? Le même qui détient des centaines de milliers de personnes innocentes dans des camps de rééducation et qui a recours au travail forcé ? Tout représentant politique doit y réfléchir. C’est un choix moral.