Les dessous de l'infox, la chronique - Ceuta: le mythe de la passoire migratoire européenne démenti par les faits

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Les dessous de l'infox, la chronique

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L’arrivée à Ceuta, enclave espagnole frontalière du Maroc, de 8 000 personnes candidates à l’exil, a été très commentée sur les réseaux sociaux. Sur les sites d'extrême droite, l’Union européenne est présentée comme une passoire où tout le monde peut entrer. Le problème de l’immigration clandestine est un sujet propice à la désinformation et à la récupération politique, qui plus est en période électorale. C’est en effet un thème cher à l’extrême droite, et ce mardi, à peine 48 heures après le déclenchement de cette arrivée massive à Ceuta, on pouvait lire sur le compte Twitter de Marine Le Pen : « contrairement aux paroles rassurantes de nos dirigeants, l’UE est une passoire où tout le monde entrer ! Il faut que cela cesse ! ». Une publication retwittée plus de 1 500 fois et relayée massivement sur différents réseaux, même après que les trois quarts de ces personnes aient été expulsées manu militari vers le Maroc ou y soient retournées d’elles-mêmes. Alors non, l’Europe n’est pas cette « passoire migratoire », image que l’extrême droite assène depuis fort longtemps, et que reprennent les adeptes des théories du « Grand remplacement ». Il suffit de regarder les chiffres des entrées dans l’UE en forte baisse sur les cinq dernières années, comme le précise Virginie Guiraudon, directeur de recherche du CNRS, au centre d’études européennes de Sciences po, spécialiste des politiques migratoires. « Il y a eu énormément d’arrivées en 2015, une chute déjà en 2016. Donc on est passé de plus d’un million en 2015 à environ 350 000 en 2016. En 2019, ils étaient 91 000 arrivés à l’est et 128 000 au total. Puis en 2020, 39 000 arrivées seulement dans toute l’Union européenne, c’est-à-dire, Grèce, Bulgarie jusqu’aux Canaries. Les chiffres n’ont jamais été aussi faibles, depuis ce pic de 2015 dû à la guerre en Syrie bien sûr », assure la chercheuse. Ceuta, point de passage très contrôlé Au-delà des chiffres, le recours aux expressions « Europe passoire », ou « invasion » telles que relayées dans de nombreux tweets, est surtout le fait des milieux d’extrême droite anti-migrants, et ce de longue date. Mais il ne correspond pas à la réalité. L’Union européenne et l’agence Frontex, qui protègent les frontières extérieures de l’Union ont beaucoup investi pour le contrôle des flux migratoires, notamment à Ceuta. Les organisations de défense des droits de l’homme parlent même d’une Europe forteresse. « C’est l’Union européenne, mais ce n’est pas l’espace Schengen. Les personnes qui arrivent à Ceuta ne sont pas dans l’espace Schengen. Europe passoire ? Non, il faut savoir aussi qu’il y un immense mur, des radars, et il y a en tout cas normalement une coopération entre le Maroc et l’Espagne qui fait que les personnes qui essaient de rester à Ceuta - et pas juste de venir y faire du commerce - finalement sont renvoyées immédiatement au Maroc », détaille Virginie Guiraudon. Manipulation de l’information d’un côté, manipulation des migrants aussi Au bout du compte, ce sont les candidats à l’exil, que les gardes-frontières marocains ont ponctuellement laissés passer, et qui auront fait les frais d’une brouille diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, sur fond de désaccord sur l’épineux dossier du Sahara occidental. Ce jeudi 21 mai 2021, la zone frontalière retrouvait le calme. Selon les autorités espagnoles, 6 000 candidats à l’exil étaient de retour au Maroc. Une crise exploitée d’emblée par les milieux d’extrême droite pour susciter la peur des populations locales, dans un contexte tendu de part et d’autre de la frontière, en raison de la crise sanitaire du Covid-19 et de la dégradation des économies de la région. En communicants sur cet événement d’une ampleur exceptionnelle, il s’agissait aussi de brocarder les institutions européennes. Certains, comme le leader du parti Les Patriotes, Florian Philippot, ont saisi l’aubaine pour multiplier lancer un appel au #frexit : « seule solution pour empêcher leur arrivée en France : sortir de l’UE et de Schengen pour reprendre le contrôle ». Une tentative caractérisée d’instrumentaliser un fait d’actualité lié à l’immigration en période préélectorale. ► À lire aussi : Ceuta: près de 6500 migrants de retour au Maroc