Les dessous de l'infox, la chronique - Retour sur la campagne de désinformation autour du détournement de l’avion de Ryanair à Minsk

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Les dessous de l'infox, la chronique

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Le président Loukachenko est sous la pression des occidentaux, depuis l’arrestation du journaliste d’opposition Roman Protassevitch, à bord d’un avion détourné sur l’aéroport de Minsk. Sur les réseaux, on assiste à une campagne de désinformation orchestrée par les milieux pro-russe, pour justifier l’interception de l’avion et l'arrestation de l'opposant. Chronique réalisée en partenariat avec Lucas Bouguet, Solène Gardré et Chadi Yahya de l’EPJT, l'École publique de journalisme de Tours. Deux passagers de ce vol Ryanair sont aujourd’hui aux mains des autorités Biélorusses : Roman Protassevitch, ancien rédacteur en chef du média d’opposition Nexta, et sa compagne Sofia Sapega, étudiante en droit à l’Université de Vilnius. Face au régime répressif d’Alexandre Loukachenko, Protassevitch vivait depuis fin 2019 en exil entre la Pologne et la Lituanie. Aujourd’hui, il risque gros. Minsk l’accuse d’avoir organisé des « troubles massifs » dans le pays, lors des manifestations contre la réélection de Loukachenko en 2020. Un mandat d’arrêt avait été lancé contre lui en novembre 2020. Sur twitter la chef de file de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa, a estimé qu’il encourait la peine de mort. Le prétexte de l’alerte à la bombe Pour justifier ce détournement d’avion, le ministère biélorusse des transports a d'abord évoqué un mail dans lequel le Hamas affirmait avoir placé une bombe dans l’avion pour obtenir de l’Union européenne qu’elle cesse de soutenir Israël. Mais cette mise en cause du Hamas ne repose sur aucun fondement. La direction du mouvement palestinien elle-même a démenti toute implication. Le président Loukachenko s’est alors retourné : « Peu importe qu’il s’agisse du Hamas ou non ! » a-t-il déclaré, réaffirmant que l’alerte à la bombe justifiait l’interception de l’appareil et son atterrissage à Minsk. Accusé d’avoir agi en toute illégalité, le régime de Minsk proteste de son bon droit, s’appuyant sur de soi-disant « aveux » des prisonniers. Le jour suivant l’arrestation, une vidéo de Protassevitch est diffusée sur la chaîne d’état biélorusse. Face à la caméra, il reconnaît avoir « joué un rôle dans l’organisation de manifestations à Minsk ». Il se dit bien traité et en bonne santé. Pour ses proches, il s’agit d’une vidéo de propagande, montrant des aveux extorqués sous la contrainte. De fait, Roman Protassevitch n’est pas libre de ses propos. Même chose pour sa compagne qui admet, sous l’objectif de la caméra, avoir commis des faits délictueux. La séquence a tout d'une mise en scène d’aveux forcés. La jeune femme y apparait très perturbée. La European Humanities University de Vilnius où elle s’apprête à soutenir sa thèse a vivement protesté, dénonçant une opération de diversion menée par les autorités biélorusses. Sofia Sapega n’est pas connue pour ses actions militantes. « Je suis sûr que la détention de Sofa n'a qu'une seule raison - de faire pression sur Roman. Il n'y a objectivement aucune autre raison », a déclaré un camarade Sofia Sapega à la BBC Russia. Des publications accablantes… mais hors contexte Sur les réseaux sociaux, une autre diversion est apparue : des photos qui accablent Roman Protassevitch, et le présentent comme un dangereux néonazi. Les images datent de 2014-2015. Une d’entre elle le montre pendant le soulèvement de Maidan contre l’influence russe en Ukraine, lors de l’épisode d’une destruction d’une statue de Lénine. Ce qui n’en fait ni un terroriste, ni un néonazi. En 2015, c’est sa présence aux côtés du bataillon Azov dans le Donbass qui est relayée sur les réseaux. Cette unité paramilitaire s’est engagée sur le terrain pour repousser l’avance russe dans cette région-est de l’Ukraine. C’est un groupe à la réputation sulfureuse, dont certains membres se font photographier arborant des symboles néonazis, drapeaux et emblèmes ultra nationalistes. Enfin, plusieurs clichés montrent le jeune biélorusse en tenue de combat. On le voit notamment à la Une d’une publication vantant les faits d'armes de la milice. Mais selon certaines hypothèses, relayées par le média d’état russe RT, Roman Protassevitch aurait pu servir de figurant pour ce qui ressemble à une mise en scène, sous le sigle du Soleil noir, symbole ésotérique néonazi. Rien ne permet d’affirmer qu’il a pris les armes. Instrumentalisation du passé de l’opposant Concernant les photos avec le bataillon Azov : Roman Protassevitch est parti dans cette région en tant que journaliste en 2015. Certaines images sont plus ambiguës, mais on ne le voit jamais distinctement sur le terrain, portant les armes. Il y a aussi des imprécisions : parfois, la légende d’une photo affirme qu’il s’agit de Protassevitch mais rien ne permet de l’identifier. Très souvent, la personne en question est masquée et cagoulée. Par ailleurs, la campagne de dénigrement s’arrête à cette période de sa vie, en Ukraine, où le jeune biélorusse était âgé de 19 ans. Ces clichés, relayés sur les réseaux par les milieux prorusse et pro-Loukachenko, n'ont surtout rien à voir avec le motif de son arrestation en Biélorussie. Ils servent à détourner l’attention des faits reprochés aux autorités de Minsk : la mise en scène d’une alerte à la bombe justifiant un détournement d’avion, pour aboutir à l’arrestation d’un opposant au régime. Avec ces photos hors contexte, l’Europe se trouve ainsi accusée de défendre l’indéfendable.