L'éternelle persécution des Hazaras en Afghanistan

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Fréquence Asie

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Pendant les 20 ans de l'occupation américaine en Afghanistan, les Hazaras, chiites dans un pays sunnite, étaient parvenus à s'extraire un tant soit peu du schéma de discrimination culturelle et sociale qui les vise depuis des années. Mais le retour des talibans au pouvoir au mois d'août a fait l'effet d'une gifle. Et pour cette minorité ethnique et religieuse, la peur d'un retour des persécutions est sur toutes les lèvres. En apparence, Bamiyan, la capitale des Hazaras, s’acclimate au retour des talibans. Le centre-ville a retrouvé un semblant de normalité, une bonne partie des commerces sont ouverts et les patrouilles de la police talibane sont accueillies avec indifférence. Mais lorsque l’on soulève le voile de résignation qui est tombé sur la région, l’évidence s’impose. Les notables et tous ceux qui en avaient les moyens sont partis le plus vite possible, raconte cette jeune femme sous couvert d’anonymat : « Les réalisateurs, les journalistes, les travailleurs sociaux, les universitaires, tous ceux qui avaient ce genre d’activité ont quitté le pays. Et quand on leur demande pourquoi ils sont partis à l’étranger, ils disent qu’ils se sentaient en danger. On a souffert comme des dingues. Quand on a su que talibans allaient reprendre la région, toute la jeunesse s’est cachée quelque part dans Bamiyan ou bien, ils ont fait comme moi : ils sont partis vers Kaboul, parce qu’on était sûrs qu’ils allaient nous torturer, parce qu’on ne voulait pas que les persécutions reprennent. Et on a toujours cette angoisse viscérale qu’ils s’en prennent à nous du jour au lendemain. » Un peuple marginalisé Par le passé, les Hazaras, et en particulier les communautés chiites, ont été des cibles constantes. Dès la fin du XIXe siècle et tout au long de l’histoire récente, ils ont été marginalisés, mis au ban de la société, réduits en esclavage, privés de leurs terres, jusqu’aux massacres de masse commis pendant le premier règne des talibans qui ont assiégé le Hazarajat en 1998. « Ils ne nous voient pas comme des musulmans. Ils pensent que l’amour que nous portons à la famille d’Ali n’est pas justifiée, mais c’est faux, nous croyons en Allah, plaide ce religieux. Ensuite, c’est juste une affaire de messager, c’est la connexion à Dieu qui n’est pas la même, d’une certaine manière. Ça ne change rien sur le fond. » Aujourd’hui, en pleine quête de respectabilité internationale, les talibans promettent qu’ils ont changé et que les minorités ne seront pas inquiétées. « Comment les croire ? » se demande Mohammad Reza Ibrahim, le vice-recteur de l’Université de Bamiyan : « Vous savez, même sous le gouvernement précédent, durant les 20 ans qui viennent de passer, les discriminations institutionnelles étaient toujours en place. Et de toute façon, l’histoire des Hazaras a fait de nous un peuple particulièrement vulnérable. Nous sommes des montagnards, nous vivons en altitude, dans le froid, sans ressources agricoles, sans industries, sans accès aux ressources économiques, nous sommes dépourvus de tout. Et si le groupe État islamique renaît ici, si Al Qaïda revient, ils vont s’en prendre à nous. Parce que nous sommes des cibles faciles pour n’importe quel groupe terroriste qui veut asseoir son pouvoir. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des attentats qui ont eu lieu en Afghanistan depuis le mois d’août visaient les communautés ou les régions hazaras. » « Notre avenir, dit-il, incertain dans le meilleur des cas, ou tragique si les choses tournent mal. Mais quelle est la voie de sortie ? » ► À écouter aussi : Afghanistan: il y a 20 ans, la destruction des Bouddhas de Bamiyan