Reportage France - Vendanges en Alsace: 2021, une année noire

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Les vendanges battent leur plein en France. Mais cette année, elles ont un goût amer. Les aléas climatiques ont eu raison d'une bonne partie de la récolte. En Alsace, dans le Grand Est, la météo estivale humide a favorisé le développement de maladies de la vigne. La solidarité vigneronne s’organise. Les ravages dans le vignoble Sur un coteau escarpé de la commune de Zimmerbach, Jean-Yves Ehrhart découvre l'ampleur des dégâts : « Il y a deux tiers de pertes. C'est une très grosse année noire pour nous ! » Le gaillard barbu sourit tristement. Il dégage d’une main le feuillage automnal de ses vignes à la recherche de la moindre grappe : « Là, la rafle est complètement sèche. Les baies ne se sont pas développées. C'est le mildiou. Et sur les baies qui se sont développées... eh bien, vous avez ce voile blanc, une poudre blanche. C’est l'oïdium qui est apparu il y a quinze jours, trois semaines. Il y a deux, trois pieds qui sont sains, et d'un coup il y a dix pieds où il n'y a rien, rien, rien... » Il s’arrête et soupire : « On ne peut pas aller contre la nature. Et tout cela, c’est l’effet du changement climatique ». Ce n’est pas Christiane, Monique, Jean-Claude ou Jean-Paul qui le contrediront. Sécateurs à la main, ils sont tous venus. Mais le cœur n’y est pas. André se désole : « On préférerait descendre la côte, s'arrêter, cueillir le raisin et remplir nos seaux. Mais il n'y a pas grand-chose pour l'instant. Une demi-grappe ! » À quelques kilomètres de là, au pied de la colline de Sommerberg, le lieu-dit abritant l’un des grands crus alsaciens, l'ambiance est tout autre. Le bruit sec des sécateurs se mêle aux joyeux cris des vendangeurs : « Seau ! Regarde, Anne, comme ils sont beaux, hein, regarde-moi ça ! » Le seau réclamé arrive et il est vite rempli. Les grappes fraîchement cueillies vont dans des hautes bennes à vendanges. On les appelle ici : les bottiches. On vérifie qu'il n'y ait pas de raisin suspect, ni de feuilles. Une fois la benne en plastique jaune remplie de raisin, elle est aussitôt emportée par un petit tracteur qui se faufile entre les rangs des vignes. La « Anne » en question vers qui se tournent les vendangeurs, c’est Anne Kuntzmann, vigneronne à Niedermorschwihr. La trentenaire sportive au large sourire, casquette vissée sur la tête, désigne les belles grappes rosâtres. Elle n’en croit pas ses yeux : « Là, on a du pinot gris. Il est très beau et surtout très bon. Et il est sain ! On distingue de bons arômes sucrés. C’est un très bon pinot gris 2021 ! » Sa parcelle semble miraculeusement épargnée. Nous sommes dans le Haut-Rhin, dans la partie sud du vignoble alsacien ravagé par les maladies de la vigne. Ce millésime atypique interpelle la vigneronne : « La qualité sanitaire est très aléatoire suivant les secteurs. La plaine est très belle. Et au contraire, vous avez d’autres secteurs où la maladie s'est un peu plus installée. Nos anciens n'ont jamais connu ça ». Anne et Jean-Yves sont membres de la Cave de Turckheim. Le travail en coopérative permet de mutualiser les efforts et la production. Depuis plusieurs années, les adhérents et les adhérentes sont dans une démarche d’agriculture raisonnée qui vise à préserver la biodiversité des sols. Toutes les exploitations sont certifiées Haute Valeur Environnementale Niveau 3 et une dizaine sont en viticulture bio ou en conversion. Si l'Alsace dans son ensemble déplore 40 % de pertes cette année, c'est l'hécatombe chez les producteurs bio, car leurs vignes ne peuvent pas être traitées chimiquement. Le temps presse Retour à la Cave de Turckheim. Les tracteurs avec leurs bottiches remplies de raisin arrivent au vendangeoir, un monstre de ciment et d'acier qui surplombe la cave tel un paquebot. Des vignerons se relayent pour décharger la précieuse cargaison. Le travail est dur et harassant. Il faut faire vite afin d’éviter l’oxydation ou la fermentation prématurée du raisin. Daniel Gerold, œnologue et maître de chai, surveille les pressoirs comme le lait sur le feu : « Le doux son des pressoirs qui pressent le raisin ! Ce sont les pressoirs à membranes qui se gonflent avec de l'air comprimé et qui pressent délicatement le raisin ». Un râle sourd s’échappe des pressoirs. Le jus récupéré est envoyé dans les grandes cuves en inox thermorégulées où il est refroidi. On procède à la clarification du jus, les impuretés se déposent doucement au fond, avant d’entamer la fermentation. Les vins sont ensuite soutirés pour passer à l’élevage. Un petit escalier en métal mène de plus en plus bas à la cave. Le glou glou de gaz carbonique annonce que la fermentation est en marche. On commence par les pinots blancs, les pinots gris, les rieslings et les gewurztraminers. Dans quelques jours, ce sera au pinot noir, l’unique cépage rouge en Alsace, de clore les vendanges. Certains vins rouges vieilliront dans les fûts en bois, logés au fond d’un chai aux allures de cathédrale en béton. 2021, l’année de tous les dangers Mais cette année, la récolte est amputée. Elle intervient alors que la cave vient pourtant de traverser haut la main le Brexit et la crise du Covid. Emmanuelle Gallis, directrice commerciale, précise : « La Cave de Turckheim est leader des vins d’Alsace sur le marché britannique. Le Brexit a perturbé les échanges. Mais nos clients se sont adaptés. Et le résultat, c’est que l’on vend au Royaume-Uni encore plus qu’avant. Durant la crise du Covid, nous avons livré nous-mêmes nos clients un peu partout en France, les commandes sur notre site internet ont décollé. Durant l’été, les grosses pertes du premier confinement ont été rattrapées, mais la fin de l’année a été rude. Finalement, on a limité les dégâts avec seulement 10 % de pertes ».Cette bonne dynamique se poursuit grâce à l’export et la grande distribution. Mais il faudra redoubler d’efforts pour garder ses parts de marché avec moins de bouteilles produites en 2021. « On est très résilient », martèle Christophe Botté, directeur général : « La force de la coopération, c'est la capacité à pallier les problématiques de chiffres d'affaires des viticulteurs en mobilisant de la trésorerie. Quand on est en individuel, on n'a que ses yeux pour pleurer. Alors qu’ensemble nous arrivons à trouver des équilibres. C'est la solidarité coopérative qui entre en jeu ». Et à Jean-Michel Wisson, président de la cave, de penser déjà à l’avenir : « Le réchauffement climatique fera que l’on aura de plus en plus de phénomènes de ce type. À nous de nous adapter. Les méthodes culturales nous permettent de rafraîchir les sols, ainsi que d’apporter la matière organique dans le vignoble. Les viticulteurs devront apprendre. La cave a mis en place des sessions de formation avec notre conseiller technique ». Est-ce que les cépages alsaciens seront toujours résistants à la sécheresse dans 25, 30 ans ? La réflexion sera longue, affirme le président, et il faudra se poser de bonnes questions. Selon l'estimation du ministère de l'Agriculture, la production française de vin devrait chuter à un niveau historiquement bas en 2021, en recul de 29 % par rapport à 2020.