Reportage international - Bangalore: après la pandémie, ils lancent leur restaurant gastronomique bio et autonome

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Trois chefs ont quitté les cuisines des hôtels de luxes pour lancer un restaurant qui renoue avec les produits locaux du Karnataka. Nous sommes allés dans les champs et à la table de cet établissement pionnier en Inde. Arpentant les champs de manguiers et bananiers, Johnson Ebenezer s'enthousiasme du nouveau chapitre qui s’ouvre dans sa vie. « Ça fait deux ans que nous préparons l’ouverture du restaurant, raconte-t-il. Il nous a fallu planter tout le verger, cultiver avec les paysans du coin, imaginer de nouvelles recettes. » Depuis un mois, Farmlore reçoit 5 soirs par semaine une vingtaine d’heureux élus pour une expérience culinaire unique en Inde. Un dîner gastronomique concocté (presque) exclusivement avec les légumes biologiques qui poussent sur 15 hectares autour du restaurant.  Du Taj Hotel au maraîchage bio Johnson Ebenezer est passé par les cuisines des prestigieux Taj Hotels en Inde ou du restaurant étoilé Nadodi, à Kuala Lumpur. En 2020, il pense ouvrir un restaurant chic au centre de Bangalore avec deux amis cuisiniers. Mais la crise du Covid-19 le conduit à changer ses plans.  « Soudain, toutes les chaînes d’approvisionnement alimentaires étaient coupées, se remémore-t-il. Nous avons réalisé à quel point nous étions dépendants de produits des quatre coins du monde. Comme un de mes partenaires avait cette ferme, nous avons décidé d’y lancer un restaurant qui produise ses propres ingrédients. » Là ou certains trouvent leur inspiration au marché, l’équipe élabore la carte selon la cueillette du jour, entre serres et cultures à l'air libre. « Ces tomates sont mûres. Ici, vous avez de la laitue et du concombre. Là des avocatiers, des feuilles de moringa et des mangues. Tout cela va faire partie du menu ce soir. », présente Johnson Ebenezer.  Tout pousse sans pesticides selon les principes de l’agriculture naturelle. « Pour fertiliser, on utilise un mélange de feuilles de neem et d’urine de vache », poursuit-il. Vaches de traits que l’on retrouve un peu plus loin : leur lait, très riche, sert notamment à concocter les glaces. Quelques poulets fournissent œufs et viande.  Cuisson au bois de mangue À 18 heures, les préparatifs en cuisine touchent à leur fin. L’occasion pour la cheffe Mythrayie Iyer de présenter quelques secrets de la maison, comme ces condiments en bocaux. « Nous appliquons des techniques modernes de fermentation à des plantes et épices locales. »,  explique-t-elle. À 26 ans, elle a fait ses armes au restaurant Noma de Copenhague, considéré comme un des meilleurs au monde. « Ici, nous voulons faire redécouvrir des variétés de la région. Comme cet ananas du Karnataka énorme et orange, qui partait avant la pandémie entièrement à l’export pour son jus. » La cuisine réserve une surprise de taille : aucune plaque de cuisson électrique ou gaz. « Dans un souci d’économie d’énergie et d’autonomie, nous cuisons au feu de bois de manguier, dans le four ou au grill. Cela donne une saveur unique aux aliments. », explique Johnson Ebenezer. Sur le toit, des panneaux solaires alimentent l’ensemble.  À 19 heures, c’est le coup d’envoi du dîner, en dix plats qui revisitent les cuisines des villages du Sud de l’Inde. Mini-tarte au maïs, gelée de mangue, et fleurs de coriandre ; Marmite d’agneau cuit en feuille de banane et oignons grillés ; Crabe  bleu (de la côte proche du Kerala) au kombucha de popcorn et graines de melon ; Boulettes de millet en soupe épicée et feuilles de curry…  “C’est une vraie expérience en bouche, juge Gayatri Ganju, une artiste locale. On retrouve des parfums typiquement indiens mais avec des textures et mélanges complètement nouveaux. » Cécile Taillet, une Française, « émet des réserves sur quelques associations mais trouve l’ensemble délicieux et la philosophie unique ».  Un effet pandémie À 60 euros pour le dîner, Farmlore s'adresse à un public très aisé en Inde. Peu de temps après son ouverture, il est déjà plein pour plusieurs semaines. « Il s'agit d'une approche responsable et ambitieuse qui n'a peu ou pas d'équivalent dans notre pays », juge Aslam Gafoor, un professionnel de l'hôtellerie basé à Bangalore. « Dans le bon vieux temps, le concept de repas de la ferme à la table avec des produits frais était populaire, mais avec la mondialisation, la cuisine du pays s'est industrialisée dans les grandes villes.» « La bonne nouvelle, c'est que la classe moyenne redécouvre des recettes familiales traditionnelles qui s'étaient égarées de génération en génération », poursuit Aslam. « La pandémie a accéléré ce phénomène et les restaurants de Bangalore innovent également. » Plusieurs études montrent un appétit croissant des consommateurs indiens urbains pour les produits biologiques et ou locaux, qui n'hésitent plus à payer un supplément.