Sri Lanka: retour sur l’échec annoncé de la révolution biologique

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Fréquence Asie

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Le 22 avril dernier, le président sri-lankais annonçait dans une allocution télévisée l’arrêt de toute importation d’engrais et de pesticides chimiques. Une décision radicale qui devait conduire le pays à une agriculture 100% biologique. Mais sept mois plus tard, le constat est alarmant. Les rendements agricoles sont en chute libre, les prix des produits de base atteignent des records, le pays s’enfonce inexorablement dans une crise alimentaire et économique. Au pied du mur, le gouvernement fait volte-face. Officiellement, le pouvoir sri-lankais a décidé d’interdire les produits chimiques dans son agriculture pour des raisons de santé publique. Les pesticides comme le glyphosate sont classés depuis longtemps par l'OMS comme « cancérogène probable ». Officieusement, le pays dépense plus de 350 millions d’euros dans l’achat d’engrais chimiques. En déficit de devises étrangères, le gouvernement espérait qu’en basculant sur une agriculture biologique, il ferait des économies. Pourquoi ce rétropédalage ? « Lorsque cette décision est tombée du jour au lendemain, le pays n’était pas du tout prêt, explique Buddhi Marambe, professeur au département de recherche agronomique de l’université de Peradeniya. Convertir un pays comme le Sri Lanka à une agriculture 100% biologique à court, moyen ou long terme est tout simplement impossible. Nous l’avons pourtant anticipé scientifiquement et averti du désastre qu’un tel projet aurait sur notre sécurité alimentaire, la production, la productivité et la qualité de notre principal produit agricole destiné à l'export. » La récolte du fameux thé de Ceylan s’élève en temps normal et en moyenne à 300 000 tonnes par an. L’interdiction des produits agrochimiques, inattendue et « irrationnelle », selon le professeur Marambe, a provoqué un effondrement des récoltes dès le mois d’octobre. « Nous avions prédit que la production de thé chuterait de l’ordre de 40 à 50%, et que les récoltes d’un des aliments de base des Sri-Lankais, le riz, serait réduit de moitié, poursuitBuddhi Marambe. Nous courrons malheureusement à la catastrophe. Il faut savoir que nos réserves en devises étrangères dépendent beaucoup du thé. Et lorsque les cultures et la qualité des récoltes sont touchées, la demande et les prix du thé de Ceylan s’en trouvent affectés. C'est ce qui est en train de se produire en ce moment même. Les deux prochains mois seront déterminants. Je dois vous dire que je suis soulagé que le gouvernement ait décidé de lever l’interdiction de l'importation d'engrais chimiques et de pesticides. En soutien à l'industrie du thé, une première cargaison de 600 000 tonnes de sulfate d'ammonium doit arriver dans le courant de ce mois. Même si le gouvernement sri-lankais semble avoir pris conscience de la gravité de la situation, le problème reste entier lorsqu'il s'agit de la production des cultures vivrières. » « Les exemples 100% bio du Bhoutan et du Sikkim » Le professeur Buddhi Marambe est un fervent défenseur de l'agriculture biologique. Pour lui, « c'est comme une religion. Il y a un processus de certification et de production. Ce système doit se poursuivre en parallèle et continuer à apporter des devises étrangères dont l'économie du Sri Lanka a tant besoin. Nous devons la soutenir et ne pas l'écarter, mais il est question ici de la sécurité alimentaire de tout un pays. Passer au tout bio est impossible car nous ne disposons pas de suffisamment d'engrais organiques pour accompagner cette transition. Là est le problème. » Pourtant, le Bhoutan ou l'État indien du Sikkim sont souvent érigés comme des exemples réussis du 100% bio. Buddhi Marambe est plus nuancé : « Nous n'avons pas tiré les leçons des expériences à l'étranger. Le Bhoutan ambitionnait de devenir le premier État 100% bio d'ici 2020. Mais en raison de la baisse de productivité, le pays doit importer 50% des produits alimentaires pour nourrir sa propre population. Le Sikkim, lui, utilisait très peu d'engrais chimiques : le passage à l'agriculture bio était bien plus simple. Mais même cet État importe la majorité de ses aliments de l'extérieur. Les mesures extrêmes ne sont pas la solution. On doit envisager une agriculture intégrée, en combinant ensemble les produits synthétiques et organiques afin de maximiser l'efficacité nutritionnelle et de minimiser les pertes tout en améliorant la qualité des sols. Laissons la science faire son travail et le succès sera là. » Fin novembre, le président Gotabaya Rajapaksa a reconnu que son projet avait poussé les fermiers à abandonner un tiers des terres cultivables.